Ah ! c’était le bon temps, j’étais bien malheureuse !

Ah ! c’était le bon temps, j’étais bien malheureuse !

[ Sophie Arnould ]

SOPHIE ARNOULD
1744-1802

I

Belle, gracieuse, charmante à rendre jalouse la marquise de Pompadour, spirituelle assez pour prêter de l’esprit à Beaumarchais, sceptique autant que Diderot, fastueuse et prodigue plus que Bouret ou Beaujon, cynique à faire rougir le chevalier de La Clos, l’auteur des liaisons dangereuses, fantasque à étonner son Lauraguais lui-même, enfin, de l’aveu de Garrick, comédienne de génie, telle fut Sophie Arnould. De son époque, elle a toutes les séductions et toutes les licences, les désordres, les grâces, les élégances, les corruptions, les attraits, les audaces. Aussi, elle est l’expression la plus complète et la plus vraie de la seconde moitié de ce dixhuitième siècle, si changeant et si divers, tout de confusions et de contrastes. Dans son salon défile toute la mascarade d’alors, princes qui abdiquent, courtisanes qui triomphent, grands seigneurs dégradés, Encelades de l’Encyclopédie, financiers, magistrats, économistes, poètes d’arrière-boudoirs, prélats sans foi, duchesses sans pudeur, beaux-esprits et esprits forts. Chez elles se rencontrent et se donnent la main l’ancienne société et la société nouvelle; l’une follement confiante dans le passé, insolente, pourrie, près de s’écrouler dans la boue, l’autre, près de naître dans le sang, impatiente, enragée, le cœur gonflé de rancunes et de colères. Ses soupers sont l’orgie de la dernière heure. On y a chanté des couplets orduriers contre la reine de France, on y a chanté la première hymne à la Révolution. Coryphée de ce carnaval de l’histoire, elle a mené la bacchanale. Fatalement, sans s’en douter, elle joue son rôle dans le prologue de 93. Elle bande les yeux de ces misérables fous qui ne veulent pas voir le péril, elle jette à pleines mains les roses sur la pente de l’abîme où ils courent, insoucieux, le verre en main, le sourire aux lèvres. En cet âge d’or des filles et des scandales, en ce temps qui vit Jeanne Vaubernier passer, sans transition, du ruisseau à Versailles, elle fut véritablement reine, adorée à deux genoux, à mains jointes, dans son boudoir, applaudie avec fureur au théâtre.

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SOPHIE ARNOULD. -Elle fut reine de sa jeune Majesté la foule, tout comme la Du Barry était reine de Sa Majesté décrépite Louis XV le Bien-Aimé. Ses adorateurs, ses amants, ses courtisans, ses poètes, ont pour sa glorification fouillé l’histoire et dépeuplé l’Olympe. En elle, ils voyaient toutes les courtisanes d’Athènes ou de Rome, toutes les divinités du ciel païen, Vénus ou Leontium, Aspasie ou Sapho, Phryné, Impéria, Ninon. Elle est mieux que tout cela encore, elle est Sophie Arnould, et le dixhuitième siècle est son siècle. II Sophie Arnould (J) est née le 14 février 1744, rue Béthisy, dans une des chambres de l’ancien hôtel de Ponthieu. Dans cette même chambre, l’amiral Coligny avait été assassiné. La belle duchesse de Montbazon, la tant aimée de M. de (1) « Elle fut baptisée sous les noms de Anne-Madeleine, mais plus tard elle prit le nom de Sophie comme plus noble. »

Rancé, y était morte, Vanloo y avait eu son atelier. Les maisons, aussi, ont leurs destinées. Plus tard, au souvenir de cette chambre historique, à laquelle sa naissance donnait un titre de plus, Sophie Arnould disait : « Je suis venue au monde par une porte célèbre. » Les parents de Sophie, de braves bourgeois des environs de Blois, étaient fixés à Paris depuis quelques années. Leur famille augmentant, il avait fallu songer à augmenter le revenu, et ils avaient transformé en hôtel garni l’ancien hôtel de Ponthieu. Chez eux, on trouvait bon visage et bon gîte; aussi leur maison était des plus achalandées. La noblesse de province y descendait. Dans les mansardes, des poètes et des philosophes, oiseaux de passage, venaient souvent chercher asile. Tout ce monde, allants et venants, faisait à madame Arnould une société flottante, un salon de hasard chaque jour renouvelé. Le soir, les hôtes se réunissaient, on causait de tout et elle écoutait. Ainsi, elle prit les façons de la bonne compagnie et se frotta de bel esprit. Elle se créa des relations et « connut des personnes qui connaissaient des gens de cour. » La petite Sophie grandit sur les genoux des hôtes de sa mère, qui la caressaient et lui donnaient des bonbons. On la choyait plus que toutes ses sœurs, parce que déjà elle était jolie à miracle et que son babil enfantin surprenait et amusait. Sa mère aussi la gâtait et l’élevait comme la fille aînée d’une princesse. Peut-être, la voyant si gentille et si spirituelle, espérait-elle qu’un jour elle deviendrait une grande dame, une duchesse pour le moins. Elle le devint, en effet, mais de la main gauche. Madame Arnould n’avait pas prévu cela; on ne s’avise jamais de tout. A six ans la petite fille était une dame de la cour en miniature; elle s’essayait aux grands airs et aux petites mines, et chacun de flatter cette coquetterie naissante. On la parait, on l’attifait, on la pomponnait, ni plus ni moins qu’une poupée à essayer les modes nouvelles, les robes et les coiffures. Puis, afin de compléter cette éducation qui devait porter de si heureux fruits, on lui donna des maîtres et des professeurs de toutes sortes. Et c’était plaisir, rien n’était perdu pour cette précoce intelligence en éveil, elle apprenait à étonner ses maîtres. A dix ans, elle dansait comme mademoiselle Prévost, elle parlait italien, jouait fort joliment du clavecin et chantait à ravir. Enfin, c’était un vrai prodige. Mais un prodige que nul ne connaît, que personne n’admire, à quoi bon! Madame Arnould se lassa d’être seule avec ses hôtes à s’extasier devant sa fille, son orgueil maternel rêvait d’autres satisfactions; elle résolut de la produire dans le monde. Sophie avait surtout et avant tout une voix charmante, fraîche, exquise, déliée, on la faisait chanter partout où sa mère la conduisait. Elle chanta dans quelques salons d’abord, dans deux ou trois couvents aux jours de fête, puis à Saint-Denis où elle obtint un véritable succès. Mais l’Église devait la conduire tout droit à l’Opéra; ce n’était pas précisément le chemin le plus long.

Le roman d’amour de Sophie Arnould, roman aux cent chapitres, commence comme un opéra de la Comédie-Italienne. Pour cette fois, la reine de l’Académie royale prend le rôle de mademoiselle Carline. Le scénario est charmant: Un grand seigneur est épris d’une jeune fille ravissante; comme il veut être aimé pour lui-même, il prend un déguisement et ainsi se rapproche de celle qu’il adore. Il est jeune, il est beau, il est poète, il parle d’amour comme don Juan avec l’accent de Chérubin, la jeune fille est naïve et sensible, elle ne sait pas défendre son cœur, elle résiste un peu d’abord, et enfin elle se rend. Il ne manque à ce scénario que la musique de Grétry, le duo d’amour où le héros peint sa flamme, et le quatuor obligé de violons. Cependant voici l’histoire:Un matin, un jeune homme se présente à l’hôtel de Ponthieu. Il demande un logement modeste. Il arrive de sa province par le coche, et ne connaît personne à Paris. Il appartient à une honnête famille et se nomme Dorval. Madame Arnould, qui sait son monde, accueille au mieux le nouveau venu. Il est fort joli garçon; pour un provincial, il s’exprime bien, ses façons, quoique un peu gauches, ont un parfum de bonne compagnie. On lui donne une des meilleures chambres. Bientôt Dorval est presque de la famille. Il est si rangé, si studieux! Il a confié son petit pécule à son hôtesse, il lui raconte toutes ses affaires et ne fait rien sans ses conseils. Le soir, il conduit ces dames à l’Opéra, et il les attend à la sortie. Madame Arnould raffolait de ce nouvel Ingénu, Sophie l’aimait. Hélas oui, elle l’aimait ! Tant et tant que certaine soirée après souper, elle mit sa main dans la sienne, et tous deux ils partirent. Un carrosse les attendait au coin de la rue, il les conduisit à une charmante maison, discrète, ombreuse, tendue de satin et de soie, un vrai nid d’amour. Trois jours entiers, la mère éplorée demanda sa fille aux échos de l’Opéra. Qu’était-elle devenue, quel était le ravisseur? Enfin elle reçut une lettre destinée à la rassurer. Mais quelle déception!Ce provincial innocent, qu’elle avait accueilli, c’était un roué, un séducteur. Elle avait réchauffé un serpent au foyer de sa famille. Ce Dorval, ce bon et doux Dorval, c’était le comte de Lauraguais en personne, Brancas de Lauraguais. Oui, la lettre était bien signée de lui. Il confessait sa perfidie en présentant d’humbles excuses. Pour racheter ses torts, et comme preuve de sa bonne foi, il promettait le mariage à Sophie. Oui, le mariage… quand sa femme serait morte. Que faire? Se résigner. Madame Arnould se résigna. Mais elle avait battu le tambour comme pour ébruiter son malheur. L’aventure fit scandale. Ce fut pendant huit jours la conversation de Paris. Sophie était la maîtresse du comte de Lauraguais. Le comte l’adorait. Il était aux petits soins pour elle. Il était riche et royalement prodigue, Sophie fut entourée de tout ce luxe merveilleux du dix-huitième siècle. Elle eut une maison montée, des meubles exquis, des diamants d’un prix fou, des valets plein ses antichambres, deux carrosses, six chevaux dans ses écuries. Elle aimait, elle était heureuse. Peut-être croyait-elle qu’ils dureraient éternellement ces jours des premiers enchantements, ces mois bénis des premières amours.

Ce fut un singulier ménage, que celui de Lauraguais et de Sophie. Jamais pourtant union libre ne fut mieux assortie. Lui si excentrique, si bizarre, elle si folle, si spirituelle. Entre tous, Lauraguais était l’amant qui convenait à Sophie, et il semble qu’il ne pouvait, lui, choisir ni aimer une autre maîtresse. L’un par l’autre, ils se complètent si bien, qu’on ne les conçoit guère l’un sans l’autre. Le comte de Brancas-Lauraguais était en son temps un fou d’infiniment d’esprit. Amusant au possible et un peu dangereux. Il ne faisait pas bon d’être le but de ses plaisanteries. Pour commencer, il s’illustra par ses aventures galantes et sa philosophie cynique. Esprit inquiet, remuant, mobile, enthousiaste, caractère fougueux et emporté, il eut tous les goûts et tous les travers. Il touche à tout, entreprend tout, ne s’arrête à rien. Chaque matin au saut du lit, une passion nouvelle le saisit. Il veut être savant, artiste, poète. L’art de la porcelaine lui doit un progrès, il écrit des mémoires scientifiques, il compose des tragédies, il fait en grand des expériences sur la fusion du diamant, — des expériences qui coûtent cher. Aujourd’hui, fou d’anglomanie, il part pour Londres afin d’apprendre à penser — « des chevaux? » lui demande le roi à son retour. Demain, promoteur de l’inoculation, il défendra son opinion avec tant d’esprit que le ministre, pour avoir raison, sera réduit à le faire enfermer. Enfin, dernière inconséquence, lui qui doit tout perdre à la Révolution, il appelle de tous ses vœux la Révolution. Immensément riche, il gaspille toute sa fortune et toute la fortune de sa femme.

Ils sont passés, ces jours de fête, » telle est la plainte de Sophie Arnould vieille et pauvre. A chaque instant elle revient sur cette idée : « C’était le bon temps autrefois, » et encore: « Qui me rendra ce temps prospère, où tous mes jours étaient beaux. » Pauvre idole brisée, que de regrets et d’amertumes, et que c’est grand’pitié de la voir en ses dernières années luttant contre la misère et l’oubli.On prétend que ses dernières paroles à son confesseur, le curé de Saint-Germain-l’Auxerrois, ont été celles-ci : — « Je suis comme Madeleine, beaucoup de péchés me seront remis parce que j’ai beaucoup aimé. »
Parfaitement heureuse au théâtre, elle l’était infiniment moins chez elle. Aux plates douceurs de la lune de miel les giboulées de la lune rousse avaient succédé. Il y avait des épines à toutes les roses de cette chaîne de fleurs. Le ménage illégitime était un enfer, Lauraguais était une tempête. Ce n’était, entre les deux amants, que brouilles et raccommodements. Jamais on ne vit variations si brusques : adorations ou batailles, pas de milieu. Quand Lauraguais n’était pas à genoux en extase devant sa maîtresse, il la battait indignement. Il était jaloux, elle était coquette, ils étaient aussi emportés l’un que l’autre ; arrangez cela. Aussi jamais de trêve, jamais de repos. Lauraguais avait des violences inouïes, des soupçons burlesques, alors, il cassait tout chez Sophie, il ébranlait la maison de ses jurons. Une heure après il demandait pardon, il conjurait sa maîtresse d’oublier ses torts et ses injustes emportements. Puis, il remplaçait les glaces, les cristaux, les tableaux, les porcelaines, et il était prêt à recommencer à propos de tout et à propos de rien. Un ami de Lauraguais écrivait vers ce temps : « Il faut à Sophie Arnould une vertu singulière pour garder encore ce fou incorrigible. » Elle n’avait pas de vertu singulière, elle l’aimait. Elle avait de lui deux enfants qu’elle élevait. Et, à vrai dire, Lauraguais a été le premier et l’unique amour de sa vie. Pour elle, il avait fait des sacrifices de toute sorte; il vivait avec elle publiquement, au grand jour, en dépit de l’opinion et des remontrances de la cour. Il avait abandonné complétement sa femme et sa maison. Peut-être Sophie pensait-elle qu’ils vieilliraient ensemble, qu’elle le garderait toujours. N’est-ce pas elle qui a dit : « Quand on a brûlé des mêmes feux on doit grelotter devant les mêmes tisons? » Elle n’en menait pas moins une existence affreuse. Ces scènes de violences continuelles la brisaient. Souvent elle arrivait au théâtre les yeux encore rouges de larmes.
Devenue vieille, elle ne songeait pas sans regrets à ces orages de sa jeunesse, aux tempêtes de cette grande passion, et elle disait:— «Ah! c’était le bon temps, j’étais bien malheureuse! »

A chaque terrible époque humaine, on a toujours vu un monsieur assis dans un coin

A chaque terrible époque humaine, on a toujours vu un monsieur assis dans un coin, qui soignait son écriture et enfilait des perles.
Toulet ou l’inactuel
Citations de Paul Valéry
Paul Valéry

A chaque terrible époque humaine, on a toujours vu un monsieur assis dans un coin

Valéry confiait : « … j’aurais publié certainement un peu plus, si, vers 97, pressé par la honte ou, si vous voulez, l’angoisse de n’avoir nulle « situation » avouable, je n’avais fait la bêtise d’entrer dans la pesante administration de la guerre. Huysmans m’y poussa. J’eus le malheur de ne pas échouer au concours et j’ai perdu dans ces affreux bureaux du matériel de l’artillerie l’heure de la vie qui compte le plus, celle des essais terminés, et de l’acte. L’ambition m’est presque étrangère, mais perdre des années de gymnastique intérieure, tant d’étude pour le dessin rigoureux de l’homme qu’on veut être, c’est assez dur. Dureté qui s’aggrave de mille quolibets que l’on s’adresse, que l’on jette à son amertume. Ce sang est-il si pur ?

Excédé d’ennui et d’un travail généralement bête mais copieux, j’ai démissionné en 1900, un mois après mon mariage. Un peu plus de liberté dans une autre situation. Quelques années de recherches assez heureuses.

Je me suis prodigieusement usé dans ce combat. Vous sentez quels internes ébranlements…

Maintenant c’est la guerre. Elle durera peut-être assez pour qu’on m’appelle, moi vieille classe. J’ai d’abord souffert de ne rien faire. Le temps était trop tendu pour continuer des exercices de longue haleine ; savez-vous ce que je fais : je radoube, repeins et vernis d’anciens vers. Cela est chinois et ridicule, mais cela est traditionnel : à chaque terrible époque humaine on a toujours vu un monsieur assis dans un coin qui soignait son écriture et enfilait des perles… »

(Paul Valéry Vivant)

Les perles, qu’en 1915, Valéry enfile, ce sont celles du collier de sa Jeune Parque.

Le poète jouant avec les rimes se révèle un acrobate du style un enfileur de perles rares.

« Au bout de quelques mois de réflexions et vers la fin de ma vingt et unième année, je me suis senti détaché de tout désir d’écrire des vers et j’ai délibérément rompu avec cette poésie qui m’avait pourtant donné la sensation de trésors d’une mystérieuse valeur, et avait institué en moi le culte de quelques merveilles assez différentes de celle que l’on enseignait à admirer dans les écoles et dans le monde… J’aimais que ce que j’aimais ne fût pas aimé de ceux qui se plaisent à parler de ce qu’ils aiment. J’aimais de cacher ce que j’aimais. Il m’était bon d’avoir un secret, que je portais en moi comme une certitude et comme un germe. Mais les germes de cette espèce alimentent leur porteur au lieu d’en être alimentés. Quant à la certitude, elle défend son homme contre les opinions de son milieu, les propos qui s’impriment, les croyances communicables.

Mais, en fait, la poésie n’est pas un culte privé : la poésie est littérature. La littérature comporte, quoi qu’on fasse et qu’on le veuille ou non, une sorte de politique, des compétitions, des idoles en nombre, une infernale combinaison du sacerdoce et du négoce, de l’intime et de la publicité ; tout ce qu’il faut enfin pour déconcerter les premières intentions qu’elle fait naître, et qui sont en général bien éloignées de tout ceci, et nobles, et délicates, et profondes. L’atmosphère littéraire est peu favorable à la culture de cet enchantement dont j’ai parlé : elle est vaine, contentieuse, tout agitée d’ambitions des mêmes appâts, et de mouvements qui se disputent la surface de l’esprit public. Cette soif pressante et ces passions ne conviennent à la formation lente des œuvres, pas plus qu’à leur méditation par les personnes désirables, dont l’attention peut seule récompenser un auteur qui n’attache aucun prix à l’admiration toute brute et impertinente. J’ai cru observer quelquefois que l’art est d’autant plus savant et subtil que l’homme est plus naïf dans la société, et plus distrait de ce qui s’y passe et de ce qu’on dit. Ce ne fut, sans doute, qu’en Extrême-Orient et en Orient, et dans quelques cloîtres du Moyen Âge que l’on put véritablement vivre dans les voies de la perfection poétique, sans mélange. »

Abolir la peine de mort ? Que messieurs les assassins commencent !

Alphonse Karr auteur des Guêpes aurait dit selon M Roger Alexandre :
Il n’est que très peu de cas dans lesquels j’admette la dure nécessité de la peine de mort; mais il en est quelques-uns, un seul peut-être, c’est celui où le glaive de la justice doit répondre au poignard de l’assassin ; sous ce rapport, pour abolir la peine de mort, je dirai : Que messieurs les assassins commencent .

Abolir la peine de mort ?  Que messieurs les assassins commencent !

Si l’on veut abolir la peine de mort, en ce cas, que Messieurs les assassins commencent.
Les Guêpes
Citations d’Alphonse Karr
Alphonse Karr

Alphonse KARR / En fumant / M. Lévy frères 1862

« Il ne faut pas plaisanter avec la liberté.- Pour moi, je mets dans l’ordre des peines l’emprisonnement au-dessus de la mort ; mais c’est peut-être un sentiment ou une sensation individuelle : – presque seul et peut-être seul en France, j’ai voté pour le maintien de la peine de mort. – Je me rappelle que j’ai formulé ainsi mon opinion : « Effaçons la peine de mort, je le veux bien ; mais que Messieurs les assassins commencent ». »
<p.5>

Une réaction de Tristan Bernard

Tristan BERNARD / L’Esprit de Tristan Bernard / nrf Gallimard 1925

« La boutade bien connue : « Que messieurs les assassins commencent » est une des paroles les plus misérables qu’on ait pu prononcer. Le plus coupable n’est pas celui qui commence, mais celui qui continue, et la société est beaucoup plus coupable que l’assassin, parce qu’il est ignorant et corrompu, tandis qu’elle est savante et policée. En attendant qu’elle veuille bien commencer à être civilisée, la société se ravale au niveau de cet être barbare. Si la suppression de la peine de mort augmente dans quelques années le nombre des crimes, tant pis : tout vaut mieux que de propager pendant des temps infinis cette monstrueuse idée que la société intelligente a le droit de tuer. »
<Secrets d’État p.132>

Une réaction d’Alfred Jarry

Alfred JARRY / La chandelle verte / OEuvres / Bouquins, Robert Laffont 2004

« Le mot d’Alphonse Karr : « Que MM. les assassins commencent », a fait tous les frais de l’enquête sur l’abolition de la peine de mort. Tant il est naturel à l’homme de répéter avec satisfaction des choses imprimées, même quand il ne se rappelle plus bien où elles sont imprimées ni si elles ont un sens quelconque. C’est ainsi que M. Émile Ollivier, de l’Académie française, écrit « Je suis toujours resté insensible aux belles phrases… » Mais il ne tarde point à citer, lui aussi, la Phrase, en attestant : « Ce mot d’un homme d’esprit a clos la question. »
De même que maintes personnalités notables se sont efforcées à élaborer, au-dessous de la boutade de Karr, leurs signatures individuelles, il nous paraît d’une excellente division du travail de nous dévouer à notre tour à la tâche, oiseuse peut-être, d’explorer si cette boutade possède quelque signification.
« Que MM. les assassins commencent » équivaudrait à ceci, si nous examinons d’abord le sens le moins follement absurde : « Que MM. les assassins (assassin, celui qui a tué, disent les dictionnaires), ayant tué, ne récidivent pas. » Pour commencer à ne pas assassiner, il faut, logiquement avoir assassiné. Mais s’ils ont antérieurement assassiné, cela a suffi pour qu’ils aient déjà été mis à mort. »
<15 mars 1902, p.962>